Nicolas Vigneron, une vie en communauté
Par Anaïs Aguilella, Florence Forzenigo, Arnaud Géré, Yves-Marie Guivarch et Carine Lim, le 15/05/2023
Rencontrer Nicolas Vigneron, wikimédien en résidence au Musée de Bretagne, c'est une occasion rare de mettre un visage sur l'encyclopédie en ligne dont il est un contributeur et un promoteur passionné. C'est aussi mieux comprendre la philosophie et le fonctionnement de Wikipédia, cet outil que chacun utilise au quotidien, sans toujours bien le connaître...

Crédits : Habib M’henni / Dyolf77, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons
Écouter Nicolas Vigneron parler de Wikipédia, c'est prendre un cours accéléré par un prof volubile, gourmand en détails et anecdotes, mais toujours soucieux de pédagogie. Il voue depuis 20 ans une passion à l'encyclopédie participative, à laquelle il consacre quotidiennement une dizaine d'heures en moyenne. À tel point qu'il vient de la faire entrer au Musé !
Il découvre l'outil en 2004, l'année de son bac. Naviguant sur un Internet encore balbutiant, il arrive par hasard sur le site de la toute jeune encyclopédie en ligne. Passionné de patrimoine, toujours à l'affut de "l'histoire derrière les vieilles pierres", il y trouve une mine d'informations pour assouvir sa curiosité : "Il y avait de tout. J'aimais bien ce côté universaliste. Et j'ai découvert qu'on pouvait contribuer bénévolement..."
Très vite, il commence à alimenter l'encyclopédie, rédigeant des articles sur l'histoire du patrimoine local. Il ne s'arrête pas là et se lance dans la correction de pages existantes. Fautes d'orthographe, construction des articles, citation des sources…alors que sa contribution est grandissante, il échange beaucoup avec la communauté. Sa contribution évolue :
Quand on voit 100 fois la même erreur, il vaut mieux apprendre aux contributeurs que corriger soi-même !
Il devient au fil des années un expert, de plus en plus sollicité par la communauté. À tel point que, quelques années (et une formation d'ingénieur en environnement) plus tard, il finit par faire de sa passion sa profession. Il effectue d'abord une résidence en tant que wikimédien à Clermont-Ferrand, avant de poser ses valises à Rennes, au Musée de Bretagne, en septembre dernier. Un lieu qu'il retrouve avec plaisir !
J'ai été stagiaire au musée il y a quelques années, j'ai aussi travaillé à la bibliothèque des Champs Libres. Le musée c'est un endroit extraordinaire. Il y a toutes sortes d'objets. Ça va de la préhistoire jusqu'au minitel, on y trouve des peintures "beaux-arts" comme des tracteurs ! C'est un défi de parler de tout ça.
Nicolas Vigneron est actuellement le seul wikimédien en résidence en France. Quelles sont ses missions ? Créer des pages de ressources, corriger des pages existantes… Depuis le début de sa résidence au Musée de Bretagne, il passe une dizaine d'heures par jour sur Wikipédia, réparties entre son temps professionnel de formation et son temps personnel : "C'est variable, je peux passer une minute pour écrire et une heure à lire. C'est presque du loisir de lire un article sur Wikipédia."
Il passe également beaucoup de temps pour former à l'outil Xikipédia et "semer des graines" pour élargir la communauté Wikimédia qui est derrière le site.
Wikipédia, on y vient par la curiosité, et on y reste pour les gens.
Nicolas Vigneron peut en parler des heures, évoquer les 18 000 contributeurs du Wikipédia français et les 10 de la version bretonne, les pics de consultation lors du décès de la Reine d'Angleterre. Ou encore les 100 voire 1 000 contributeurs aux styles et syntaxes différents qui peuvent se relayer sur un même article, fait de morceaux dissemblables : "C'est le côté Frankenstein ! " sourit-il.
L'encyclopédie en ligne née en 2001 est l'un des sites les plus consultés au monde. Il existe en 300 langues : "seulement dépassé par la Bible !" précise Nicolas. Le site, malgré sa prétention à l'universalisme, n'est donc pas exempt des réflexions qui parcourent la société. Pis, des militants politiques ou des propagateurs de "fake news" tentent parfois d'instrumentaliser l'outil !
Les articles d'histoires sont les pires ! Ce sont les informations fausses qui sont les plus faciles à contourner : c'est un exercice de recul, d'éducation aux médias.
Nicolas est aussi parfaitement conscient que la représentativité de l'outil a beaucoup de progrès à faire : ainsi, 80 % des contributeurs de Wikipédia sont des hommes (le plus souvent blancs, occidentaux, diplômés). S'apercevant que seulement 20 % des biographies concernent des femmes, il s'est ainsi lancé dans la rédaction de centaines de biographies de militantes politiques irlandaises. "Est-ce que l'on doit être militant et pro-actif ? Est-ce qu'il faut changer la communauté pour changer le contenu ?" s'interroge-t-il. La question est aujourd'hui insoluble.
Ce sujet, comme d'autres, le wikimédien l'aborde avec deux approches. D'un côté, celle de l'ingénieur qui aime démonter les choses et expliquer comment marche la mécanique complexe de ce projet mondial. De l'autre, celle du pédagogue résolument tourné vers les contenus et la meilleure façon de les transmettre. Une double vision sans doute héritée de ses parents, l'un ingénieur, l'autre traductrice ?
J'ai grandi entre des manuels d'aéronautique et des dictionnaires de toutes les langues du monde... C'est peut-être comme ça qu'on devient wikimédien !
À la base de cet engagement, c'est surtout une curiosité insatiable qui anime Nicolas Vigneron. Lui qui a appris le breton en quelques mois, parle couramment anglais, allemand, sait un peu lire le chinois et l'arabe, répète comme un mantra : "J'aime les défis !"
"Culture libre" : Les Champs Libres
récompensés pour leurs engagements
Le 25 avril 2023, les Champs Libres ont reçu le label "culture libre", niveau or. Ce label, décerné par Wikimédia France, récompense et identifie les institutions culturelles privilégiant l’intégration de l’open content (partage des ressources culturelles, textes ou images, de la manière la plus ouverte possible) dans leurs pratiques numériques et leurs projets collaboratifs, au profit de leurs publics.
Ce prix reconnait la démarche engagée par les Champs Libres depuis des années, avec l'ouverture des données et contenus culturels et leur appropriation par le plus grand nombre. Les Champs Libres entendent ainsi proposer une offre culturelle pour un monde durable, qui donne envie d'apprendre et de comprendre.
La labellisation récompense et reconnaît une démarche exceptionnelle et pérenne de positionnement des publics en ligne au centre des démarches numériques et missions générales de l'institution.
— Xavier Cailleau, chargé de mission partenariats Wikimédia France
Parmi les actions déterminantes ayant conduit à l'obtention de ce label :
- La mise en ligne du portail des collections : en 2017, le Musée de Bretagne ouvre un portail en ligne, qui regroupe les collections du Musée de Bretagne et de l’Écomusée de la Bintinais. Avec ces collections en partage, plus de 300 000 objets et documents sont d’ores et déjà en libre accès sur Internet ;
- La numérisation et diffusion du fonds patrimonial de la Bibliothèque des Champs Libres, avec 40 000 items en ligne portant la mention marque du domaine public ;
- L'accueil d'un wikimédien en résidence au Musée de Bretagne pour un an ;
- Les nombreuses ateliers de sensibilisation et de formation réalisées par les agents des Champs Libres.