
Je marche dans le lit des rivières.
par Lise Gaudaire
La photographe rennaise Lise Gaudaire était l’une des artistes en résidence à la Casa de Velázquez, Académie de France à Madrid (Espagne) la saison dernière. À cette occasion, elle a souhaité, dans la lignée de ses travaux précédents sur l’agriculture et le paysage, interroger la notion d’oasis.
Le sud de l’Espagne est une terre de paradoxes, où l’aridité et la désertification sont de plus en plus flagrants, mais où prolifèrent les vergers de fruits et légumes exotiques, cultivés à grande échelle et de manière intensive.
Si le mot «oasis» évoque un îlot rendu fertile au milieu d’une vaste étendue désertique, on oublie souvent qu’il s’agit d’un paradis artificiel, entièrement créé par l’homme. L’oasis n‘est pas que l’image d’Épinal de la palmeraie ombragée : elle soulève les questions terriblement contemporaines de l’économie mondialisée et de l’impact écologique, de l’agriculture raisonnée et de la consommation d’eau
Informations pratiques
Du 4 octobre 2022 au 8 janvier 2023 | Escaliers de la Bibliothèque
Rencontre avec Lise Gaudaire le samedi 10 décembre à 16h.
Libre et gratuit

Je marche dans le lit des rivières, 2022

Juste avant le crépuscule, 2022

Fernando, 2022

Photo : Lise Gaudaire
Lise Gaudaire est diplômée de l'École Supérieure d'Art de Lorient en 2007. Après des séries de portraits consacrées à son père paysan, à l’enfance en famille d’accueil et au passage de l’adolescence à l’âge adulte, elle s’intéresse depuis 2013 aux rapports que l’homme entretient au paysage, à son territoire, à la manière qu’il a de le regarder et de l’appréhender et en particulier à celles et ceux qui le travaillent.Munie de sa chambre photographique et de son micro, souvent accompagnée de personnes qui vivent et font l’espace rural – paysans, gardes forestiers, techniciens bocages... – elle arpente la campagne. Elle les suit, les enregistre, échange et les photographie, eux et leurs paysages.
Les séries photographiques de Lise Gaudaire, au-delà de leurs dimensions sensibles, s’apparentent ainsi autant à une démarche de type anthropologique qu’à une archéologie du paysage. Outre la photographie, Lise Gaudaire enregistre, filme, glane, écrit... et s’interroge sur la capacité de la photographie à dire ce qui l’entoure, à l’observer et le comprendre.
Note d'intention des Oasis

"Dans mes recherches photographiques, le paysage, souvent sujet principal, est le résultat de diverses interventions liées à son exploitation économique ou politique. Le paysage, lieu de travail, de production et de loisirs. Le paysage façonné et utile par et pour l’Homme. Le paysage comme une accumulation de strates, un héritage historique, social, économique, culturel. Munie de ma chambre photographique 4X5 et de mon micro, je l’envisage comme une étendue à arpenter, à explorer, à regarder, à travailler, à habiter.
Et en filigrane, mon histoire familiale, celle de mon père paysan, des crises agricoles successives, de mon enfance et mon adolescence à la ferme, de mon émancipation - ou la tentative -, de la vente de la ferme et du départ.
Le temps long, la construction d’une familiarité, d’une relation durable et sensible aux paysages et à ceux qui les façonnent, sont les prérequis essentiels au développement de mes projets. Mes recherches artistiques ne se soumettent pas à des protocoles, contraints ou orientés, mais plutôt à des errances propices à la surprise et à la découverte intime des espaces. Je passe par le temps long de l’exploration, des rencontres, par le re-venir, le re-voir, le re-sentir.
Après des séries d’images consacrées à mon père paysan, à l’enfance en famille d’accueil, à l’adolescence en milieu rural, lors d’une résidence soutenue par le département d’Ille & Vilaine et le Carré d’Art en 2014, je crée Paysans/Paysages. À partir d’une lecture - Le court traité du paysage, d’Alain Roger - je viens ici, questionner le regard et le rôle des agriculteurs sur la construction des territoires et des paysages qui les entourent.
Par la suite, de 2017 à 2020, je réalise Les Faiseurs de Paysages - en trois chapitres, la forêt, le bocage et la rivière - soutenue par le département d’Ille & Vilaine, par les DRAC Bretagne et Pays de La Loire, par la ville de Rennes, et plusieurs centres artistiques. Ici, je vais à la rencontre de celles et ceux qui construisent, façonnent et modifient les paysages ruraux. Les invisibles, ils m’ont dit.

Et au cours de ces recherches, je tire de nouveaux fils. C’est quoi sauvage aujourd’hui ? Et nature ? Les nouvelles plantes qui envahissent. Il y a l’eau aussi, qui disparaît pendant des mois et réapparaît des fois trop vite et trop fort. Et puis il y a les Oasis. Certains diront les espaces protégés, les autres, les espaces mis sous cloches. Moi, je penserai les mirages et les déserts."
Le projet
Elle me dira, “ici, c’est comme une oasis.”
Oasis. Endroit d’un désert qui présente de la végétation due à un point d’eau. Lieu ou moment reposant, chose agréable qui fait figure d’exception dans un milieu hostile, une situation pénible. Profite, je me dis.
Je marche derrière elle.
Dedans, je l’aime l’oasis.
Plus tard, l’image me rend triste.
Extrait du texte Les Faiseurs de Paysage - Le Bocage, Lise Gaudaire, 2020
Édition en cours avec Sur La Crête Éditions
Comme dans un prolongement de mes travaux menés jusqu’alors, je souhaite interroger la notion d’oasis, apparue lors d’échanges avec mon père, avec des agriculteurs rencontrés durant ma résidence à Pontmain en 2020, et à la suite de lectures sur les modes d’agricultures, d’habitats, de vies dits alternatifs. Oasis, comme des territoires idéaux, fantasmés, protégés, plantés, replantés, mis sous cloche, parfois fermés ou encore abandonnés par l’Homme. Et peut-être mirages.
Qu’en est-il dans une péninsule Ibérique ? L’Espagne le point de départ de ces nouvelles recherches. Les orangers, les citronniers, les avocatiers, les manguiers, les grenadiers.
Oasis
Havre
Île
Îlot
Eden
Paradis
Asile
Refuge
Ciel
Port
Retraite
Mirage
Illusion
Fantasme
Rêve
Rêverie
Songe
Chimère
Utopie
Mythe
Hallucination
Irréalité
Désillusion
Désert
Abandonné
Inhabité
Infréquenté
Solitaire
Vide
Retiré
Inoccupé
Dépeuplé
Stérile
Aride
Sauvage
Désolé
Nu
Seul
De l’agriculture en Espagne, je n’ai dans la tête que les images de serres à perte de vue. Des images vues du ciel. Celles des satellites. Une mer de plastique. Des chabolas. Du désert d’Almeria. Le désert. Alors je me demande, dans la péninsule Ibérique, les oasis existent-elles ? Où sont-elles ? À quoi ressemblent-elles ? Et puis dans ces oasis, qui y travaille ? Comment ? Pourquoi ? Quel rapport à la terre ? Au territoire ? Aux Autres ? Aux paysages ? Au faire commun ? Au faire sens ? Porter un regard sur les différentes pratiques agricoles. Ici, il ne s’agira pas d’opposer les différents modèles agricoles, mais bien d’interroger, d’observer, d’écouter. Je pars chercher Oasis, une quête et/ou une enquête anthropologique, documentaire, artistique et sûrement intime et introspective.

Je commencerai ma quête d’Oasis, dans la petite région de l’Axerquia, en Andalousie, entre Malaga et Grenade, sur la côte appelée La Costa Tropical. Une zone où poussent avocats, mangues, oranges, grenades, papayes et autres fruits exotiques. Une région dans mon imaginaire luxuriante, et dans l’imaginaire des communicants. Qu’en est-il en réalité ? Pour sûr je me retrouverai face à un mirage, mais dans ce mirage existent-ils des espaces Oasis. Je rencontrerai les agriculteurs, habitants, acteurs du territoire et les interrogerai. A donde esta el oasis ? Y, para ti que significa oasis ? Par mes contacts j’avancerai en cercles concentriques, de proches en proches. Se rencontrer, échanger, discuter, apprendre. Puis photographier, enregistrer, écrire.
Il s’agira également d’interroger encore ma pratique artistique, la photographie, les enregistrements audios et vidéos, l’écriture, le protocole. Décloisonner. M’extraire de mes habitudes. Travailler la technique, le laboratoire. Et créer des espaces de dialogues entre ces différentes pratiques.
Enfin, depuis douze ans, je vis avec mon ami argentin. Je pratique l’espagnol, celui du quotidien. Je dis paysan, il dit campesino. Et je me demande quelles influences nos langues, nos cultures, ont sur notre regard sur le paysage, sur nos émotions, sur notre compréhension de ce qui nous entoure. Ici oasis, sauvage, nature, paysage, eau, cultiver, habiter...
Les enjeux
J’envisage cette nouvelle recherche comme un prolongement de mes travaux engagés jusqu’ici. Et si dans les faits, ce projet s’inscrit dans ce processus déjà enclenché, il s’agira bien là, d’en développer un nouveau, tant par le sujet, que par les recherches photographiques, plastiques et d’écriture.
Le temps. Le temps long, la construction d’une familiarité, d’une relation durable et sensible à l’Autre, au territoire, sont les prérequis essentiels au développement de ma pratique. Le temps des rencontres, le temps des discussions, le temps des recherches, le temps de la photographie à la chambre.
La transdisciplinarité. Les échanges, artistes, chercheurs, ceux de la Casa de Velazquez, ceux de l’université de l’autre côté de la rue et aussi techniciens, agriculteurs, habitants. À nouveau, apprendre d’eux, confronter nos points de vue, nos observations, partager nos connaissances, se nourrir les uns des autres et développer des réflexions ensemble. Se questionner sur les grands enjeux agricoles, environnementaux et sociétaux.


Une nouvelle fois partager mon regard. Inviter les habitants, les acteurs locaux, les spectateurs à observer leur territoire, se questionner sur ce qui nous entoure, et plus largement l’époque que nous vivons et ses grands enjeux agricoles, environnementaux et sociétaux, en faisant un pas de côté.
Une année en péninsule Ibérique, un temps et un espace indispensables, pour rechercher, apprendre, expérimenter, travailler, accrocher, prendre du recul et montrer.
Photos, illustrations et extraits de carnets de recherche : Lise Gaudaire