En cette année 2023, d’après son compte Facebook, la Fête foraine de Rennes va célébrer ses 50 ans ! De son côté, l’Office de Tourisme de la ville explique que cet événement en plein air, qui ouvre au mois de décembre sur l’Esplanade Charles de Gaulle (anciennement place du Champ de Mars), existe depuis bientôt 125 ans. Qu’en est-il exactement ?
Compléments sur cette image. Dans les collections : http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo268523. Le musée de Bretagne conserve des photographies prises dans les années 1960 par Charles Barmay (1909-1993) qui témoignent de la vie des Rennais au quotidien. Ces prises de vue de la fête foraine du Champ de Mars illustrent à la perfection l’ambiance si particulière de cet événement.
Les origines de la Foire d’Hiver
C’est en 1890 qu’a lieu la première édition de la grande fête foraine annuelle de la ville créée en 1889 par le conseil municipal. Elle était surnommée Fête d’Été ou Foire du Mail car elle débutait fin juin sur la promenade du Mail, site où elle va avoir lieu jusqu’en 1972. À partir de 1892, une fête foraine était également organisée durant la Mi-Carême sur la Mail d’Onges, actuelles avenues Aristide Briand et Sergent Maginot. Mais ces deux fêtes foraines n’ont jamais été les plus anciennes de la ville ! Depuis 1868, des marchands ambulants et des banquistes – c’est-à-dire des forains se produisant sur la voie publique – participent à la Foire du 1er jour de l’an, plus couramment dite Foire ou Fête d’Hiver, ancêtre de l’actuelle Fête foraine de Rennes.
Au tournant du 19e siècle, la durée de cette fête hivernale est de deux mois car elle ouvre place de la Gare le premier dimanche de décembre pour se clôturer le premier dimanche de février. Les industriels forains sont tenus de payer leurs emplacements – obtenus le mercredi précédant l’ouverture – pendant toute la durée de l’événement, par semaine et d’avance.
Compléments sur cette image. Dans les collections : http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo259465 et http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo259467
Pour les établissements et leurs annexes, le mètre superficiel par jour est facturé deux centimes, alors que pour les voitures et les charriots, il coûte un centime. En février, les bonimenteurs ne quittent pas forcément la ville car ils participent aux fêtes de quartier, surtout celle de la place Hoche – qui ouvrait pour environ une semaine généralement immédiatement après la Foire d’Hiver. Les établissements forains sont déjà variés : cinématographe, cirque, manège de vélocipèdes, chevaux de bois, loteries, tirs, musée, club haltérophile, jeu de massacre, etc.
La Fête Foraine d’Hiver du Champ de Mars
Fin décembre 1919, la municipalité annonce que la Foire d’Hiver de la place de la Gare va être supprimée. Les industriels forains qui séjournent à l’année sur les avenues et les places ne sont plus autorisés. Les établissements et voitures sont obligés de disparaître à la fermeture de la fête en février 1920. Déjà en avril 1907, des membres du conseil municipal protestaient contre l’agglomération des forains sur les places centrales de Rennes, arguant que les hardes et les linges sales pendus à l’arrière des roulottes sont contraire à l’esthétique et aux règles de l’hygiène.
Compléments sur cette image. Dans les collections : http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo268259
La décision de 1919 ne sonne pas pour autant le glas de la Foire d’Hiver. Du 5 décembre 1920 au 6 février 1921, elle est installée, à titre d’essai, sur le Champ de Mars. Les forains, pour pouvoir s’installer, sont contraints de faire des demandes d’autorisation auprès de l’administration municipale dès le mois de novembre. En 1923, il est prévu que la fête se déroule sur l’avenue du Mail, mais en raison de travaux, la municipalité décide de l’installer de nouveau sur le Champ de Mars, à l’angle de la rue d’Isly et du boulevard de la Liberté. En 1923, plus de discussions : elle ouvre pour la troisième année au Champ de Mars. Malheureusement, elle pâtit du mauvais temps. Beaucoup de forains n’ont pas réussi à arriver en ville à cause de l’état désastreux des routes. Les Rennais sont déçus : il n’y a que quelques baraques et trois manèges.
Le Luna-Park de Rennes
En 1924, les visiteurs admirent surtout les brillants éclairages électriques qui font de la place un lieu d’attractions que tout le monde veut voir. L’accès à l’électricité devient important pour les industriels forains qui en usent pour fasciner leurs spectateurs. Ils savent mieux que quiconque utiliser la vue, l’ouïe et l’odorat pour attirer les gens et animer les lieux. Le public se laisse prendre par leurs verroteries qui scintillent dans une atmosphère emplie du son des orgues de barbarie et de l’odeur des gaufres, des beignets ou autres gourmandises sucrées.
Compléments sur cette image. Dans les collections : http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo268167
Les forains qui utilisent des instruments bruyants sont tenus, dès la fin des années 1920, d’en faire la déclaration à l’administration municipale un mois au plus tard avant l’ouverture de la fête. Le prix du mètre superficiel a déjà augmenté d’un centime et la durée de la Foire d’Hiver est fixée à un mois avec une prolongation facultative de deux mois.
Dans les années 1930, les animations proposées sont de plus en plus nombreuses ce qui vaut à la fête foraine d’être comparée dans la presse à un vrai Luna-Park. Les journalistes décomptent plus de cinquante attractions. Stands de tir à la carabine, devin qui interroge les lignes de la main, jeux de massacre, billards japonais et loteries côtoient désormais des attractions qui proposent des émotions fortes. Les Rennais profitent de nacelles aériennes, de gondoles, de chenilles, d’un bobsleigh, ainsi que d’un vaste dancing avec trottoirs roulants et rouleaux cascadeurs ! Sur les manèges, les chevaux et les cochons de bois ont laissé la place à des automobiles : les enfants adorent ces autodromes. Côté spectacles, des artistes-cascadeurs font le Cercle de la mort à moto, pendant que les chiens savants d’Arthur Durwal déroulent un répertoire amusant.
Compléments sur cette image. Dans les collections : http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo268165
Boue, petits cailloux… bombes
Les forains hivernent alors à Rennes et quittent en général la ville vers la Mi-Carême. Derrière les manèges et les loteries, les voitures automobiles et les roulottes s’étalent. Dans les années 1920, le Champ de Mars n’est pas un site facile à vivre à cause des boues, des eaux croupies, sales et nauséabondes. Il faut attendre 1935 pour que la municipalité décide de parsemer la place de petits cailloux jaunes permettant de circuler sans risquer « l’enlisement dans la boue ou la noyade dans la flotte » !
Compléments sur cette image. Dans les collections : http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo268525
En 1939, quand la guerre entame son quatrième mois, les forains sont astreints, au point de vue de la Défense Passive, à la règlementation imposée à la population tout entière. Ils doivent surtout supprimer toutes les lumières apparentes. L’année suivante, le maire, Jean Lemaistre (1862-1951) arrive à convaincre les autorités allemandes qui occupent la ville de maintenir la fête. En 1940, les forains sont nombreux à s’être inscrits auprès de l’administration municipale, mais un décret, passé le 5 novembre, interdit aux Compagnies d’électricité de leur fournir du courant ! Le nouveau maire François Château (1886-1965), l’Organisation syndicale foraine, ainsi que l’Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, font une demande de dérogation auprès du ministère de la Production industrielle. Leur démarche échoue. La fête foraine est maintenue mais seulement avec des industriels forains qui peuvent se passer de la dame Électricité. En décembre 1942, beaucoup d’attractions manquent, mais cela n’empêche pas les forains de faire une collecte entre eux : ils remettent une somme de 5 000 francs à la municipalité pour qu’elle soit répartie entre la Caisse de l’Œuvre municipale des Cantines scolaires et la Caisse de Secours aux prisonniers de la commune de Rennes. Un reliquat de 2 500 francs est adressé à la Caisse centrale du Syndicat des Forains pour venir en aide aux familles des prisonniers de cette corporation. Cette Foire d’Hiver est prolongée. En mars 1943, les attractions foraines sont toujours ouvertes. Le 8 mars, en pleine journée, c’est le drame : l’aviation anglo-américaine bombarde Rennes. Sur le Champ de Mars, dans le crépitement des flammes, des baraques de forains se volatilisent, amuseurs et visiteurs sont ensevelis sous les décombres.
Compléments sur cette image. Dans les collections : http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo230164. La vue est prise d’est en ouest et montre bien l’impact des bombes de part et d’autre de la voie ferrée : sous les plus gros nuages de fumée, le champ de mars. Les Archives municipales de Rennes conservent des clichés pris après le bombardement : 100 Fi 741 et 100 Fi 742.
Foire aux sensations fortes
Après la Seconde Guerre mondiale, la Foire d’Hiver se maintient sur le Champ de Mars transformé en parking de 300 places. En 1970, l’espace est rebaptisé esplanade Charles de Gaulle. Cette année-là et jusqu’en 1973, la fête est transférée sur le Mail à cause des travaux urbains et de la construction de la Maison du Champ de Mars. Si elle revient ensuite sur l’esplanade, les caravanes d’habitation des forains s’installent désormais sur d’autres parkings. En octobre 2004, le site est creusé pour la construction d’un parking souterrain de 790 places. La municipalité est obligée d’installer les forains et leurs manèges jusqu’en 2007 sur le parking du Parc des expositions, près de l’aéroport.
Durant la seconde moitié du 20e siècle, théâtres, musées, ménageries et cinématographes ont progressivement quitté la scène foraine car la plupart de ces attractions sont devenues sédentaires.
Compléments sur cette image. Dans les collections : http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo320247
Les jeux de loteries et tirs subsistent. De plus en plus d’attractions où dominent les sensations de vertige et de vitesse se développent.
Compléments sur cette image. Dans les collections : http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo268162
La fête foraine de Rennes propose de nos jours une aventure physique, avec des attractions mettant le public dans des situations extrêmes et capables de susciter l’esprit de performance sans risque. Les 300 000 visiteurs qui y viennent peuvent voir et profiter de plus de 80 manèges !
Va-t-elle fêter ses 50 ans ? Oui, si on ne tient compte que de son retour sur l’Esplanade Charles de Gaulle en 1973, année où elle devient la seule grande fête foraine de la ville. Plus de 125 ans ? Oui, car même si cela fait 103 ans qu’elle a lieu sur le site de l’Esplanade Charles de Gaulle, en 2028, la Fête d’Hiver fêtera ses 160 ans dans la ville de Rennes ! Mais auparavant, en cette année 2023, nous pouvons faire mémoire des Rennais et des forains qui sont décédés, il y a 80 ans, lors du bombardement du 8 mars 1943.
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Cet article a été préalablement publié sur blog Musée dévoilé - les coulisses du Musée de Bretagne. Son ancienne adresse est https://musee-devoile.blog/2024/08/23/metiers-de-femme-les-femmes-et-la-mer-des-professionnelles-invisibilisees/