Petites histoires de la gastronomie de Bretagne – En Bretagne, c’est beurre salé !

Écrit par : Sophie Chmura

Licence : CC BY-SA

Publié le : 11/12/23

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Rayon frais des produits laitiers du magasin L’Économique à Perros-Guirec photographié le 30 juin 1961 par les Créations Artistiques Heurtier – CC BY-NC-ND – Collection du musée de Bretagne, Rennes

Un voyage ou un déplacement professionnel loin de sa Bretagne natale est parfois source de déceptions en croquant dans un sandwich, face à des radis ou devant sa tartine du petit-déjeuner… Quel Breton, loin de chez lui, n’a jamais demandé, la tristesse dans la voix, s’il est possible d’avoir du beurre salé à la place du beurre doux ? Mais d’où vient ce goût prononcé dans l’Ouest pour ce produit, surtout s’il est salé, définit comme une spécialité bretonne par excellence ?

Un rayon de bon beurre

Rayon frais des produits laitiers du magasin L’Économique à Perros-Guirec photographié le 30 juin 1961 par les Créations Artistiques Heurtier – CC BY-NC-ND – Collection du musée de Bretagne, Rennes

Compléments sur cette image. Dans les collections : http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo370671

Cette photographie a été prise par un des opérateurs de l’entreprise de Bernard Heurtier (1930-2019) au moment où s’ouvrent les premiers grands hypermarchés en France. Le grossiste L’Économique dispose alors de 500 succursales dans l’Ouest réunis sous le slogan « tout sous le même toit ». Dans le rayon frais des produits laitiers du magasin de Perros-Guirec, les briques de beurre occupent l’espace, en particulier celles de l’entreprise Bridel créée en 1846 en Ille-et-Vilaine.

Pas un jour sans beurre

Au 19e siècle, le beurre est une production locale, une denrée périssable très difficile à conserver, à transporter, et donc non accessible au plus grand nombre. C’est un produit de luxe que les producteurs réservent à la vente, destiné à être consommé par les classes sociales élevées des grandes villes, pour la plupart hors de la Bretagne, comme Paris ou Londres. Grâce à l’invention de l’écrémeuse centrifugeuse en 1879, la durée de l’écrémage est ramenée d’une journée à une heure et il est donc possible de produire abondamment du beurre très frais. Pour faciliter la collecte du lait et valoriser leurs produits, les producteurs laitiers profitent de la loi du 10 septembre 1947 pour former des sociétés coopératives agricoles comme la Coopérative Laitière de Rennes et des Environs créée en1949, aujourd’hui connue sous le nom d’Agrilait. Avec le développement du chemin de fer et l’invention des premiers wagons réfrigérants, le beurre est distribué partout. En cuisine, il détrône l’huile, le lard et le saindoux. C’est dans les années 1960, que la production industrielle se généralise totalement, marginalisant la production fermière.

Malaxeur à beurre – Marque du Domaine Public – Collection Musée de Bretagne, Rennes

Compléments sur cette image. Dans les collections : http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo275776

Avec l’apparition du butyrateur qui permet la fabrication du beurre en continu, barattes en bois et marques à beurre sont reléguées dans les musées. De nos jours, c’est en Bretagne que l’on consomme le plus de beurre quotidiennement en France, à savoir 19 grammes par jour !

À chacun son goût

Depuis le 19e siècle, le goût du beurre est associé à un terroir : ainsi, « le beurre des environs de Rennes et de Nantes est estimé, parce qu’il est bien fabriqué et de bonne qualité. Celui du Léonais est trop gras, celui de Tréguier n’est pas toujours bien préparé, celui de Cornouaille est dur, sec et il laisse souvent à désirer quant à sa propreté.». Au 20e siècle, la question du goût est étroitement liée à l’hygiène et à la stabilité du produit lié à une forme de hantise du beurre rance. Si le beurre salé n’est pas une invention bretonne, c’est bien en Bretagne qu’il s’est le plus produit : avant la Révolution, sans réfrigération, le sel est le moyen le plus efficace pour conserver les aliments. Produit stratégique, il fait l’objet d’un monopole géré par l’État Royal qui prélève une taxe : la gabelle. En tant que productrice de sel, la Bretagne est exemptée de cet impôt. Le sel, disponible à bas coût, est donc utilisé en plus grande quantité qu’ailleurs en France afin de conserver le beurre. Au 19e siècle, la Bretagne est toujours connue pour produire des quantités énormes de beurre salé et demi-sel. En 1857, l’Académie des sciences morales et politiques affirme d’ailleurs que « tout le monde en Bretagne mange du beurre salé, comme ailleurs du fromage : c’est l’aliment universel. » Quoi qu’il en soit, le beurre, salé ou non, est un aliment ancré dans les habitudes et la culture des Bretons. Dans la plupart des familles, il y a toujours une motte de beurre, posée sur la table, de manière à accueillir de façon respectueuse les invités. Dans certains territoires, il était courant de déposer du beurre au pied des saints ou, comme à Spézet dans le Finistère, de sculpter d’énormes mottes de beurre à l’occasion des fêtes religieuses et des mariages. Mais, malgré sa place importante dans les habitudes culinaires des Bretons et sa longue notoriété, contrairement au beurre de Charentes-Poitou, d’Isigny, de Bresse, des Charentes et des Deux-Sèvres, le beurre de Bretagne n’a aucune AOC (appellations d’origine contrôlées).

Entremont Beurre pasteurisé – CC BY-NC-ND – Collection Musée de Bretagne, Rennes

Compléments sur cette image. Dans les collections : http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo241922. En 1951, la coopérative Entremont s’installe en Bretagne et se lance dans la fabrication de beurre et des produits frais. Elle a toujours vanté son beurre d’origine « Bretagne garantie ». Aujourd’hui, la coopérative laitière Sodiaal (ex-Entremont) a sorti un nouveau beurre : « Nature de Breton », fabriqué avec du lait presque 100 % local et un emballage en papier 96 % recyclable.

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Cet article a été préalablement publié sur blog Musée dévoilé - les coulisses du Musée de Bretagne. Son ancienne adresse est https://musee-devoile.blog/2024/08/23/metiers-de-femme-les-femmes-et-la-mer-des-professionnelles-invisibilisees/

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