Comme Curnonsky (1872-1956), surnommé le prince des gastronomes, l’a écrit : « l’Art culinaire est l’un de ceux où de tous temps le féminisme a triomphé » ! De la Belle Époque à la fin du 20e siècle, les femmes ont été nombreuses à faire briller et connaître la cuisine bretonne, mais elles sont pour la plupart tombées dans l’anonymat.
Portrait emblématique de la gastronomie bretonne

Compléments sur cette image. Dans les collections : http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo208869
Dans un médaillon circulaire au centre de cette boîte de conserve qui contenait des petits pois, une femme en costume, aux formes opulentes, porte une soupière sur un plateau. Les industriels utilisent souvent dans leurs publicités des personnages pour charmer le consommateur et véhiculer une image qualitative de leurs produits. C’est le cas de Cassegrain, entreprise fondée en 1856 à Saint-Sébastien-sur-Loire (Loire-Atlantique), qui installe une usine à Concarneau (Finistère) en 1904. Elle est alors en plein essor et fait appel à des affichistes de renom pour concevoir sa réclame. Eugène Ogé (1861-1936) dessine le personnage de la Bretonne Mélanie, directement inspiré du portrait d’une figure emblématique de la gastronomie bretonne : la cuisinière Mélanie Rouat (1878-1955) avec sa coiffe de Riec-sur-Belon. La Bretonne Mélanie identifie les conserves de la marque jusqu’en 1959.
Bonnes hôtesses et cordons bleus
Les noms de Mélanie Rouat à Riec-sur-Belon, de Julia Guillou (1848-1927) et de Marie-Jeanne Gloanec (1839-1915) à Pont-Aven, de Marie-Jeanne Orvoën (1873-1947) – dite la Mère Bacon – à Brigneau ou d’Anastasie Lecadre (1848-1935) à Rochefort-en-Terre résonnent encore à l’oreille des historiens de l’art, car comme l’a écrit Auguste Dupouy (1872-1967) dans son livre Au pays Breton : La Cornouaille paru en 1935 « il y a toujours eu partie liée entre la peinture et la gastronomie ». Durant l’Entre-deux-Guerres, la Bretagne ne manque pas de « relais de gueule » dirigé par des femmes dont la cuisine roborative et traditionnelle est vantée par Curnonsky qui apprécie cette « admirable cuisine, simple et mijotée, l’inégalable cuisine de nos grand-mères ». Clémence Lefeuvre (1860-1932) à la Chebuette, à quelques kilomètres de Nantes, est celle qui reste aujourd’hui la plus célèbre pour avoir interprété à sa façon la « sauce blanche » en « beurre blanc ». D’autres noms, quelques prénoms, parfois juste la description du sourire de ces hôtesses et cordons bleus apparaissent dans la littérature de voyage ou les correspondances privées des gens de lettre, laissant aux historiens le devoir de les sortir de l’anonymat.

Compléments sur cette image. Dans les collections : http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo246197. Cette photographie a été prise quand les sœurs Marguerite et Elise Le Coz géraient le Ti-Koz. Leur restaurant est étoilé au Michelin de 1962 à la fin des années 1970. Elles reçoivent même une deuxième étoile en 1967 pour leur ris de veau Ti-Koz, leur homard et leurs crêpes flambées au marasquin.
Les gardiennes de l’art culinaire breton
Au tout début du 20e siècle, la Bretagne se fait connaître pour ses tables et sa cuisine. Les touristes découvrent les maingaux et le casse de Rennes (plat à base d’abats blancs comme la couenne et la tête de porc dont la cuisson se fait dans un plat en terre appelé « casse » ), les crêpes dentelles de Quimper, le homard au Kari de Lorient, la cotriade de Concarneau. Madeleine Desroseaux (1873-1939) s’engage pour conserver coûte que coûte ce patrimoine breton, en particulier son art culinaire et étudie comment « les conditions géographiques et économique de la Bretagne eurent une influence très grande sur ses mets régionaux ». Après avoir recueilli les recettes bretonnes, elle les publie dans le Clocher Breton sous le nom de plume « Dame Marthe ».
À la fin des années 1960, c’est la Rennaise Simone Morand (1914-2001) qui devient l’artisane d’une synthèse sur la gastronomie bretonne. Elle ne se contente pas de recueillir et de sauver les recettes héritées du passé car elle crée et innove. À travers ses nombreux articles et ouvrages, elle joue un rôle de vulgarisation et participe à l’évolution de la cuisine bretonne.

Compléments sur cette image. Dans les collections : http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo360657
Son livre La Gastronomie bretonne d’hier et d’aujourd’hui, paru en 1965, contient près de 750 recettes. Elle écrit également plusieurs petits ouvrages chez l’éditeur Jos Le Doaré, notamment La Cuisine populaire de Bretagne en 1982 et Des galettes et des crêpes en Bretagne en 1985. En parallèle, elle est productrice à Radio-Bretagne d’une série d’émissions intitulée La Bretagne à table et elle tient une chronique gastronomique au journal le Télégramme de Brest. Ses recettes figurent aujourd’hui à la carte de nombreux hôtels et restaurants de la région.
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Cet article a été préalablement publié sur blog Musée dévoilé - les coulisses du Musée de Bretagne. Son ancienne adresse est https://musee-devoile.blog/2024/08/23/metiers-de-femme-les-femmes-et-la-mer-des-professionnelles-invisibilisees/