De l’objet au monument, la gastronomie, dans son acception patrimoniale, se rattache à un large éventail d’espaces spécialisés et la typologie de ces lieux est l’une des plus riches qui soit, des jardins, potagers et vergers aux usines de production alimentaire, commerces de produits de bouche et lieux de restauration. La Bretagne compte de nos jours plus de 11 100 cafés-restaurants et l’inventaire général en recense 173. Là aussi la typologie est riche, entre luxe et simplicité, du restaurant gastronomique au relais routier, des tables historiques ou créations récentes.
Des tables d’hôtes aux premiers restaurants
Dès le Moyen-âge, auberges et cabarets proposent des tables d’hôtes et servent quelques nourritures avec un verre de vin, de bière ou de cidre. En général, tous les hôtes mangent alors un plat unique.

Compléments sur cette image. Dans les collections : http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo166931. Ce bâtiment existe depuis la fin du 16e siècle. Il abritait alors un hôtel-relais du nom de Grandmaison. Vers 1810, il est baptisé le Lion d´Or. Au 20e siècle, le restaurant prend le nom de Relais Saint Corentin et reçoit deux étoiles au Michelin en 1931. En 1939, il devient l’annexe de l’Hôtel de l’Épée. À la fin des années 1940, il est transformé en galerie de peintures. Depuis 2017, il est occupé par un magasin d’arts de la Cornouaille célèbre pour sa façade couverte d´assiettes en faïence de Quimper.
Un peu avant la Révolution, des lieux qui ont les codes de nos restaurants actuels, c’est-à-dire avec des tables séparées et un menu à choix multiples (essentiellement des bouillons) apparaissent à Paris. C’est à ce moment-là que le mot « restaurant » – réservé normalement à un potage fait à base de fond blanc de volaille, de veau ou de bœuf – commence à désigner un lieu où l’on se restaure. La Révolution joue un rôle important dans leur multiplication. Nombre de cuisiniers, jusque-là au service des aristocrates, se retrouvent sans emploi autour de 1792, lorsque leurs employeurs fuient le pays. Ils mettent alors sur le marché leur savoir-faire culinaire et ouvrent leur établissement. En quelques années, l’offre de restaurants est décuplée, se concentrant d’abord sur les Grands Boulevards parisiens. La capitale compte 300 établissements en 1805 et leur nombre a triplé en 1820 ! Pour autant, la diffusion géographique des restaurants en province est lente et inégale. Globalement, ils apparaissent d’abord dans le cœur ancien des grandes villes. Même si en Bretagne, à la fin du 18e siècle, quelques restaurateurs proposent des tables qui complètent l’activité des cafetiers, le développement des restaurants reste toujours limité au début du 19e siècle.
Restaurants de voyageurs et de tourisme
Dans les villes thermales et balnéaires, les restaurants se développent dès la première moitié du 19e siècle grâce à la fréquentation touristique, en particulier celle des Britanniques. La plupart du temps ce sont les hôteliers qui favorisent ces ouvertures dans leurs établissements et toujours de manière à exploiter les qualités du paysage environnant.

Compléments sur cette image. Dans les collections : http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo230477. En 1925, le café Grouin Point ouvre. Ce nom en anglais avait été choisi par le tenancier de l’établissement qui voulait attirer une clientèle anglo-saxonne, mais en 1926, plusieurs touristes français y voient une insulte. La cabane en planches est alors baptisée du nom de « Marie-Louise ». Sur le cliché, le mot « touristes » avec deux points d’exclamations précise clairement qu’ils sont ici les biens venus pour déguster un déjeuner, vin compris, à 10 fr 50. À la fin des années 1930, les affaires ont sans doute été plus que satisfaisantes car l’hôtel-restaurant en pierre Pointe-du-Grouin remplace rapidement le chalet Marie-Louise.
Avec l’arrivée du chemin de fer à Nantes en 1851 et à Rennes en 1857, des restaurants apparaissent dans et autour des gares. Le développement du réseau ferré guide leur diffusion géographique à travers la péninsule et la gare constitue un point d’ancrage : place et avenues qui la bordent sont les lieux d’implantation privilégiés. À la fin des années 1940, à l’initiative de son secrétaire général, Vincent Bourrel (1900-1981), la SNCF passe un partenariat avec 64 buffets de gare situés en province afin que les concessionnaires servent chaque jour, pour un prix abordable, un menu touristique comportant obligatoirement un ou plusieurs plats régionaux. Ils sont fréquentés à la fois par les habitants permanents et les voyageurs.

Compléments sur cette image. Dans les collections : http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo281141. De nos jours, le buffet de la nouvelle gare de Rennes sert des plats créés par Christian Le Squer, chef d’un restaurant trois étoiles parisien, qui revisite la cuisine traditionnelle bretonne : pâté en croûte de coucou de Rennes, kouign amann salé en soupe de lait tomatée, boudin redessiné ou encore carpaccio de mulet de pleine mer.
Le restaurant en plein milieu, sur la gauche de la place en face, au bout des deux rues…
Au début du 20e siècle, la multiplication des mobilités et le déploiement des pratiques touristiques accélèrent la diffusion géographique des restaurants. Grâce à l’automobile, ils s’implantent aux abords et dans les villes ou villages desservis et reliés entre eux par les routes nationales. Afin de développer leur clientèle, les restaurants et les relais-routiers sont très logiquement et majoritairement localisés le long d’axes structurants, des voies de pénétration et de convergence, c’est-à-dire le long des grandes rues, des avenues et des boulevards.

Compléments sur cette image. Dans les collections : http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo164651
Les lieux de restauration sont également implantés aux carrefours et sur les places qui sont des nœuds ou des croisements des points de convergence. Ces lieux géographiques autorisent une visibilité maximale. Afin de l’accentuer, certains restaurants présentent un agencement d’angle avec un aménagement sur deux ou trois côtés, ce qui les rend panoramiques.

Compléments sur cette image. Dans les collections : http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo342225. La façade de cet hôtel-restaurant est disposée à l’angle de rues. Il a reçu une étoile au Michelin avant 1939.
En Bretagne, la diffusion géographique des crêperies est illustrative. Elles se sont d’abord multipliées dans les villes et les stations balnéaires puis dans les localités touristiques de l’intérieur, dans les petites villes et les gros bourgs en général. Sur la ceinture littorale, elles sont parfois isolées en bordure de route. Rares sont les localités bretonnes de nos jours qui n’ont pas leur crêperie !
Suivez le(s) guides(s) !
Le lieu conditionne souvent la spécialité de l’établissement, son ambiance générale en salle et en cuisine. La clef de la réussite pour un restaurateur est de trouver la localisation lui permettant d’avoir une fréquentation optimum. Comme les restaurants ouverts à proximité des structures culturelles et sportives, ceux proches des quartiers d’affaires ou des sphères politique et administrative fidélisent facilement leur clientèle jusqu’à fonctionner parfois comme des clubs privés ! Les tables réputées calmes et discrètes accueillent discours politiques et négociations.

Compléments sur cette image. Dans les collections : http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo245600. L’auberge des Trois Marches, repaire des dreyfusards en 1899 lors du second procès d’Alfred Dreyfus (1859-1935), a été transformée en 1902 en lieu de réceptions officielles et familiales. En 1903, Marie Joseph Gadby, dit Pierre (1871-1955) en devient le propriétaire. Sa fille Renée (1906-1982) et son mari Albert Lecoq (1902-1983) lui succèdent et vont laisser leurs noms à l’établissement. Le restaurant nommé Le Coquerie reçoit une étoile en 2008. En 2017, il perd son étoile et il ferme pour revivre sous la forme d’un service traiteur.
Le voisinage avec les commerces alimentaires et les lieux d’approvisionnement inspirent les cartes et les menus. Si le consommateur attend d’un restaurant sur le port de lui offrir plateaux de fruits de mer et poissons frais, la proximité des marchés en centre-ville se traduit de nos jours par le fameux menu « retour du marché », preuve d’une recherche des circuits courts et d’un intérêt soutenu pour les spécialités locales.

Compléments sur cette image. Dans les collections : http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo495357. Marc Tizon, malheureusement décédé en 2010, était une grande figure de la gastronomie bretonne, intransigeant sur la qualité du produit. Il avait obtenu une étoile au Palais en 1984 et celle du LeCoq-Gadby en 2008.
Depuis 1931, 289 restaurants bretons ont été étoilés par le Guide Michelin, référence internationale des guides gastronomiques. En 1934 apparaît le premier Guide des relais routiers, de ces « bons restaurants pas chers et pour tous […] là où l’on mange bien, où l’on boit de bons petits vins régionaux à prix sympa », qui classe les adresses par qualité de réception et de restauration avec ses fameux Relais Casserole. En 1972, le Guide Gault&Millau est créé. Comme le Guide Michelin ses notations – établies sur une note maximale de cinq toques et accompagnées d’une appréciation sur le ressenti de l’enquêteur sur la qualité de la cuisine et l’environnement du lieu – ont un impact important sur la fréquentation des restaurants.

Compléments sur cette image. Dans les collections : http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo410717. Près de la porte de ce restaurant les pancartes prouvent qu’il est recommandé par les guides Michelin et Gault&Millau. Le Lion d’or a connu une grande renommée avec le chef Michel Kéréver qui a acheté l’établissement en 1966. Il a obtenu sa première étoile en 1969 et la deuxième en 1974. Kéréver a formé des grands chefs et écrit en 2003 aux éditions Ouest-France un livre de 600 recettes.
De l’importance du décor des salles et de l’art de la table
Les premiers lieux de restauration protégés au titre des Monuments historiques en France sont les cafés. Après, Le Procope à Paris, inscrit en 1962 pour son intérêt historique, la brasserie La Cigale à Nantes l’est à son tour en 1964 pour son décor Art nouveau. Quand il n’est pas possible d’exploiter les qualités du lieu où le restaurant est implanté, le décor contribue souvent à créer un environnement de dégustation agréable, mais les décors fastueux des restaurants gastronomiques témoignent surtout d’une recherche esthétique pour mettre en valeur les mets, parfois précieux, qu’ils servent.

Compléments sur cette image. Dans les collections : http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo202767. Cet établissement a fermé définitivement dans les dernières années du 20e siècle pour être remplacé par le siège régional d’un organisme de prêt immobilier. L’immeuble construit en 1896-1897 par l’architecte Alfred Daboval (1853-1926) figure à l’inventaire des monuments historiques de Bretagne. La salle à manger et le bar au rez-de-chaussée ont été décoré en 1922 de grands tableaux très colorés de scènes de vie bretonne par le peintre Louis Garin (1888-1959). En 1956, le restaurant avait reçu une étoile pour sa soupe aux moules, sa sole dorée Du Guesclin et ses ris de veau.
Les conditions de service ont aussi une importance dans l’histoire des restaurants. Après le service à la française, où de nombreux plats étaient présentés en même temps sur la table, le service à la russe ou service à l’assiette, s’impose au tournant du 19e siècle. Les restaurateurs remplacent les plats multiples en gelée, froids ou tièdes par des plats servis à la bonne température selon des règles de déroulement et d’équilibre des menus. De là sont venus des éléments qui peuvent paraître secondaires mais néanmoins importants : les arts de la table. Le cristal, la porcelaine, les nappes, les décorations florales sont des éléments incontournables, en veillant ne pas mélanger les genres : les mêmes services ne sont pas entendus dans un restaurant étoilé ou dans un bistrot.

Compléments sur cette image. Dans les collections : http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo365700. La station des Rosaires près de Saint-Brieuc a été créée vers 1905 par l´industriel automobile Lucien Rosingart (1881-1976). L´hôtel appelé tout d´abord Des Voyageurs prend, après la Première Guerre, le nom de Rosaria. Le restaurant est étoilé en 1934 pour son homard à l´américaine et son poulet à la crème. À la fin des années 1940, le Rosaria perd ses étoiles. Il prend le nom de Balnéa. La salle du restaurant est aujourd´hui occupée par une crêperie, tandis que l´immeuble est devenue une résidence.
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Cet article a été préalablement publié sur blog Musée dévoilé - les coulisses du Musée de Bretagne. Son ancienne adresse est https://musee-devoile.blog/2024/08/23/metiers-de-femme-les-femmes-et-la-mer-des-professionnelles-invisibilisees/