Avec ses 50 000 spectateurs, le Carnaval à l'Ouest de Scaër est aujourd'hui le plus grand carnaval breton. Mais quels sont ses spécificités, comment les Scaerois le vivent-ils ? Le Comité du carnaval de Scaër a décidé de mener une enquête ethnographique, et le Musée de Bretagne, dans le cadre de son exposition Carnavals, a souhaité en savoir plus.
Entretien avec Marjorie Ruggieri, anthropologue, qui a mené l'enquête.
À quand remonte le Carnaval à l’Ouest ?
Françis Salaün, correspondant de longue date du Télégramme, retrace l’histoire du carnaval sur son blog Scaër une longue histoire ! Grâce à ses archives et à de nombreux témoignages, nous pouvons dater la première édition de ce carnaval de parade, autrefois appelé « cavalcade », au 11 mars 1923 ! Il est lancé par Charles Burel, commerçant revenant de Nantes, dont l'épouse, Jeanne Victorine Neuilh, a vécu le carnaval de Lourdes.
Un soir d'hiver, elle évoque avec nostalgie le carnaval ensoleillé de son enfance, ce qui suscite l’idée d’organiser un carnaval à Scaër, parmi son mari et quelques amis.
Le carnaval a beaucoup évolué depuis la petite fête des débuts : chars de plus en plus techniques, disparition de l’élection des reines, diminution du nombre de chars fleuris…
Depuis 1971, il se tient tous les deux ans en alternance avec celui de Guémené-sur-Scorff. Il rassemble aujourd’hui plus de 50 000 visiteurs à chaque édition, ce qui en fait le plus grand carnaval breton !
En 2022, le Comité du carnaval de Scaër inaugure une Maison du carnaval, espace dédié à la transmission de cette tradition vivante, en particulier auprès des jeunes générations.

Comment est née l’idée d’une enquête sur ce carnaval ?
À la suite d'une rencontre autour du patrimoine vivant à Vitré, où je présentais les résultats de la démarche de patrimonialisation du carnaval de Nantes et son inscription à l’Inventaire National (2023), l’équipe du Comité du carnaval m’a contactée. Ils souhaitaient faire un état des lieux de leurs archives, collecter la mémoire locale, et surtout obtenir une reconnaissance des savoir-faire et des rituels liés à ce carnaval centenaire, qui rassemble plus de 1 300 carnavaliers et environ 400 bénévoles. La démarche de patrimonialisation a ainsi été lancée, dans le cadre du programme Festimonia.
Quelle a été la participation des Scaerois ?
La démarche a été très bien accueillie. Le Comité a mobilisé une équipe de quatre bénévoles dédiés au projet. Certains ont été chargés de trier, inventorier et numériser les archives (photos, vidéos, programmes, affiches, etc.), d’autres m’ont aidée à recueillir la mémoire locale à travers une vingtaine d’entretiens filmés, ou encore à capter les gestes liés à la fabrication des chars et des costumes. La valorisation du projet s’est aussi faite via un questionnaire en ligne, qui a recueilli une centaine de retours (sur les représentations, l’importance des rituels, les préconisations pour l’avenir).
Nous avons aussi et surtout mis en place des mesures concrètes de sauvegarde, avec l’aide d'étudiantes du master "Médiation du Patrimoine, de l'Histoire et des Territoires" de Rennes 2 : médiation et communication sur les réseaux sociaux, création d’un kit de jeu d’énigmes autour du carnaval, parcours d'éducation artistique et culturelle dans deux écoles de Scaër…
À Scaër, de nombreux événements liés au carnaval rythment la vie locale et la fête est omniprésente dans la vie culturelle (expositions, conférences, animations pour Halloween, etc.).
Selon vous, à quoi tient la popularité du Carnaval à l'Ouest ?
La longévité et la popularité du carnaval de Scaër s’expliquent par plusieurs facteurs. Tout d’abord, la dimension participative : les carnavaliers sont tous bénévoles, membres d’associations, prêts à investir du temps, de l’argent et de l’énergie dans la création de chars et de costumes, simplement pour partager des moments de convivialité. Lorsqu’on leur demande ce qu’ils aiment le plus, ils évoquent souvent la phase de création collective, la réflexion, la fabrication, la transmission, plutôt que le défilé lui-même, qui peut parfois être source de stress.
Ce qui rend ce carnaval si apprécié, c’est aussi la qualité et l’originalité des chars, construits Dans le secret des hangars, comme le souligne le documentaire du même nom de Corinne Jacob. La fabrication artisanale des costumes, souvent faite de A à Z par les carnavaliers eux-mêmes, contribue aussi à cette identité forte.

Quelles sont ses spécificités ?
Deux éléments ressortent particulièrement lors de notre enquête. Tout d'abord, la construction des chars et la dissimulation du conducteur. Contrairement à d’autres carnavals où le tracteur et le conducteur sont visibles, ici, ils sont entièrement camouflés. Le conducteur ne voit rien directement : il s’oriente grâce à des caméras, ce qui confère une dimension spectaculaire et innovante à la fabrication.

Et d'autre part, l’univers familial et enfantin du carnaval. Les thèmes, les couleurs, les affiches reflètent cette légèreté et cette féérie. Comme le dit si bien l’artiste Yanik Pendu : « À Scaër, il n’y a pas de revendication politique, on a autre chose à dire, à montrer, un univers d’imaginaire, de rêve collectif. » La place des enfants est essentielle : des petits chars sont spécialement conçus pour eux. La jeunesse des équipes et leur dimension sont aussi remarquables : dans certaines, on compte jusqu’à 140 carnavaliers, dont 40 enfants, il n'y a donc aucun problème de transmission ou de recrutement !


Pouvez-vous nous en dire plus sur l’édition 2025 ?
J’ai eu la chance de voir les dessins et maquettes des chars et les prototypes des costumes en préparation dans les hangars et chez les carnavaliers.
À Scaër, il n’y a ni thème imposé ni ligne directrice unique, ce qui promet un défilé les 8 et 9 juin haut en couleurs, avec des chars articulés, de beaux volumes, des costumes très élaborés et une créativité débordante.
Le deuxième défilé, prévu le lundi, sera sans doute plus festif car les carnavaliers relâchent la pression du dimanche. La compétition fait aussi son retour : le public pourra voter pour ses trois chars préférés, ce qui constitue une reconnaissance importante pour les équipes.
En savoir plus
L'enquête-collecte ethnographique a été confiée à l’Office pour le Patrimoine Culturel Immatériel (OPCI EthnoDoc). Il s'agissait de mieux connaître le Carnaval à l'Ouest de Scaër (Finistère), le plus grand carnaval breton. Avec la participation de carnavaliers de tous âges, l'enquête permet d'écrire les mémoires de la cavalcade et met en lumière son organisation, son esprit et ses pratiques…
Cette enquête s'inscrit dans le programme Festimonia , initié par la Fédération Française des Fêtes et Carnavals de France (FCF) et l'OPCI EthnoDoc. Destiné à sauvegarder le patrimoine vivant des fêtes et carnavals, ce programme est proposé aux membres de la fédération depuis 2015